Il aime très fort ses pieds aux doigts aussi longs et fins que ceux de ses grandes mains que petit il comparait à des araignées. Bien proportionnés, sans défauts majeurs, grecs. Il n’en a jamais eu honte et ne les cachait pas dans le sable.
Il aime bien les voir dans le bain d’eau froide additionnées de deux seaux de glaçons versés doucement par la belle Isabelle. Il aime les voir sous la douche la tête sur le ventre encore ferme d’Arlette. Il ne s’en sert plus, il lui font très mal, mais quand il les voit, ils lui rappellent le marcheur forcené qu’il a été.
Ses pieds lui rappellent ses perms à Nouméa, les australiennes, la caserne de Plum, ses vacances à Hienghène et ses manœuvres à Koumak. Ils lui rappellent Lifou où il a failli être marié.
Ses pieds lui rappelent le rouge de son sang sur le Chemin de Compostelle, le Cirque de Gavarnie, le bord friable de Meteor Crater, le Roc Nantais, le parc de Franck, le sentier préféré de Nietzsche, les derniers pas de Moïse qu’il a foulé, selon le guide jordanien.
Ils lui rappelent les élans de Jackson Hole creusant la neige à la recherche d’un brin d’herbe. Liane voulait à tout prix les prendre en photos alors qu’il y en avait plus de mille parqués à l’entrée de la ville. Non, elle les voulait nature. Il descendait avec elle, éducation oblige, passant de vingt-quatre à moins vingt plus le vent humide. Jamais il ne l’a autant maudite. Sans dire un mot, bien sûr.
Ses pied lui rappellent ses randonnées dans la campagne française, si rare au monde dans son exceptionnelle variété. Si les français étaient plus souriants, sa patrie serait la première destination au monde, il en sait quelque chose. Comme l’est Paris qu’il a visitée de fond en comble, de jour comme de nuit, sa plus belle ville au monde. Il a parcouru chacun de ses arrondissements. En dix ans et des clients partout, il a eu le temps. Entre deux rendez-vous il prévoyait deux heures, une pour arriver, une pour visiter. Il passait ses week-ends à marcher, sauf dossiers urgents. Il a visité ses merveilleux musées, avide d’émotions artistiques et il éprouve encore aujourd’hui le regret de ne pas avoir fini Le Louvre. Mais qui le peut ? se rassure-t-il aussitôt. Il adorait le métissage de Barbès, le même qu’à New-York, la chaleur de leurs cafés, leur affection spontanée et gratuite. Le pouvoir du sourire est si fort. Des leurs, du sien qu’il donnait à foison et encore plus dans les moments troubles. Dans tous les coins du monde, le sourire a été son passeport et son ange gardien. Il est compris partout, sa gamme est infinie et vaut mieux que tous les mots. Ceux de son père était extraordinaires. Il donnait au sien la même chaleur, le même charme et il ne lui est jamais rien arrivé.
Ses pieds étaient sur les Champs-Elysées quand la France a gagné la Coupe du Monde. Et dieu que c’était bon de serrer des mains de toutes les couleurs, d’embrasser des inconnus, de rire, de sauter, de danser, de chanter. La liesse avait effacé les différences. Il en a pété son klaxon.
Ses pieds lui rappellent Singapour, Istanbul, Amman, Petra, Ephèse, Barcelone, Vienne, Milan, Londres, Le Caire, Port Louis, St Denis, Bruxelles, Budapest, Fort de France, St Denis, San Francisco, Boston, New-York, New Orleans, Chicago, Montréal... Ils lui font refaire ses tours du monde.
Ses pieds ont toujours quelque chose qui lui rappellent. Quand il voit la belle vie qu’il a eu grâce à eux, il leur sourit avec chaleur et leur dit tendrement :
- Merci.

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